52.

La mort du comte Roland, au lendemain de la bataille de Crécy, eut pour effet d’accélérer l’ascension sociale d’un certain nombre de personnes. Ayant hérité du titre, son fils aîné, William, ne fut plus redevable de ses actes qu’au roi seul. L’un de ses cousins, sieur Édouard Courteculotte, devenu son vassal par l’octroi de la seigneurie de Caster et des quarante villages composant ce fief, emménagea dans l’ancienne demeure de William et de Philippa à Casterham. Quant à sieur Ralph Fitzgerald, il reçut le titre de seigneur de Tench.

Au cours des dix-huit mois qui suivirent, aucun de ces personnages ne rentra chez lui, occupés qu’ils étaient à occire des Français dans leurs marches d’un bout à l’autre de ce pays sous l’étendard du roi Édouard. Mais en l’an de grâce 1347, la guerre s’enlisa. Les Anglais s’emparèrent de Calais et surent y demeurer, victoire non négligeable car cette ville était un port important. Nul succès notoire n’avait marqué cette décennie guerrière, n’était la quantité de butin amassé.

En janvier 1348, Ralph prit possession de sa nouvelle seigneurie. Elle se composait du gros bourg de Tench, qui comptait une centaine de familles de paysans, et de deux petits villages voisins. Par ailleurs, il possédait toujours le village de Wigleigh, à une demi-journée de cheval.

Ce fut avec un tressaillement de fierté qu’il entra dans son bourg en caracolant, instant attendu entre tous depuis l’enfance. Les serfs se courbaient sur son passage, leurs enfants le dévisageaient les yeux ronds. Dorénavant, il était le seigneur et maître de toutes personnes et de toutes choses en ces lieux.

La demeure se dressait au centre d’un terrain cerné de remparts. En y pénétrant, suivi d’un chariot transportant le butin rapporté de France, Ralph ne manqua pas de noter la décrépitude du mur d’enceinte. Il s’interrogea sur la nécessité de le réparer. En Normandie aussi presque toutes les villes avaient des défenses mal entretenues et cela avait grandement facilité la tâche des Anglais quand ils avaient voulu s’en emparer. Toutefois, il était peu probable que l’Angleterre ait à se protéger d’une invasion lancée à partir des côtes du Sud. La majeure partie de la flotte française avait été coulée dans le port de Sluys. Désormais les Anglais étaient maîtres du chenal qui séparait les deux pays. Mis à part quelques incursions mineures perpétrées par des pirates agissant pour leur propre compte, tous les combats menés depuis lors s’étaient déroulés sur le sol français. Tout bien considéré, rebâtir ce mur d’enceinte ne semblait pas la première des tâches à entreprendre.

Des palefreniers apparurent, qui saisirent les brides des chevaux. Ralph laissa Alan Fougère s’occuper du déchargement et marcha vers sa nouvelle maison. Il boitait : sa jambe blessée le faisait toujours souffrir après un long trajet à cheval. Le manoir de Tench, en pierre, avait un aspect imposant, se dit-il avec satisfaction. Déserté depuis la mort du père de dame Matilda, il nécessiterait certainement des réparations, mais à en juger d’après l’extérieur, sa construction semblait récente. Dans les maisons du temps jadis, lorsque le seigneur voulait avoir des appartements privés, il devait faire ajouter des pièces tout au bout du vestibule, qui demeurait la salle la plus vaste de tout le bâtiment. Ici, l’espace destiné à la famille occupait apparemment la moitié du manoir.

Ralph pénétra dans sa demeure d’un pas joyeux. Grande fut sa déconvenue en apercevant au fond de la longue salle le comte William trônant dans une haute cathèdre en bois sombre. Siège, selon toute évidence, réservé au maître des lieux, à en croire les riches sculptures dont il était orné : anges et lions sur le dossier, serpents et monstres sur les bras et les pieds.

Une grande partie du plaisir de Ralph s’en trouva effacée d’un coup. Comment apprécier pleinement son nouveau statut de propriétaire lorsque le regard du suzerain pesait sur vous ? C’était comme de coucher avec une femme pendant que son mari tendait l’oreille derrière la porte.

Masquant son déplaisir, il salua le comte dans les formes requises. William lui présenta l’homme debout à ses côtés : « Voici Daniel. Il est bailli de ce bourg depuis une bonne vingtaine d’années. Il a pris grand soin de cette seigneurie en lieu et place de mon père pendant toutes les années où ta fiancée, Tilly, a vécu à Château-le-Comte. »

Ralph salua le bailli avec raideur. Le message de William était clair : il tenait à voir Daniel confirmé dans ses fonctions. Un bailli aussi dévoué au comte Roland le serait tout autant à son fils, songea Ralph. Or, s’il était une chose qu’il ne souhaitait pas, c’était bien qu’un homme du comte contrôle son domaine. La personne qu’il nommerait à ce poste devrait avant tout être loyal envers lui.

William attendait que son vassal exprime son assentiment. Dix ans plus tôt, Ralph aurait débattu aussitôt de la question. Mais il n’avait pas passé tant d’années auprès du roi sans apprendre certaines choses, notamment qu’un seigneur n’avait pas besoin de l’approbation de son suzerain pour nommer un bailli. En conséquence, il désignerait qui bon lui semblerait et, pour l’heure, tairait ses intentions. À peine William reparti, il assignerait Daniel à une autre charge.

Un silence s’instaura entre William et Ralph, chacun demeurant muré dans son obstination. L’ouverture d’une grande porte donnant sur les appartements privés rompit la gêne. La silhouette élancée de dame Philippa s’encadra sur le seuil. Sa vue laissa Ralph pantelant. Sa passion d’antan lui revint avec la violence d’un coup de poing au ventre. N’ayant pas vu dame Philippa depuis plusieurs années, il découvrait aujourd’hui une femme mûre dans toute la perfection de sa beauté. Peut-être était-elle un peu plus ronde que dans son souvenir, ses hanches plus marquées, ses seins plus lourds, mais ces rondeurs n’en rehaussaient que mieux ses attraits. En la voyant s’avancer vers lui de sa démarche de reine, il se demanda avec rancœur pourquoi il n’avait pas une épouse aussi belle.

Dame Philippa lui sourit en agitant la main, elle qui jadis daignait à peine le remarquer. « Ah, je vois que vous avez fait connaissance avec Daniel ! »

À l’évidence, elle aussi souhaitait voir l’intendant du comte maintenu dans ses fonctions, d’où sa subite amabilité. Raison de plus pour me débarrasser de lui sans tarder, se dit Ralph avec un plaisir secret et, tout haut, il se contenta d’un : « Je viens juste d’arriver » qui ne l’engageait pas.

« Nous n’aurions pour rien au monde manqué votre première rencontre avec Tilly, poursuivit dame Philippa, comme si elle se sentait tenue d’expliquer leur présence. Elle fait partie de notre famille, vous savez ? »

Curieux de découvrir enfin à quoi ressemblait sa fiancée, Ralph avait ordonné aux religieuses de Kingsbridge de la conduire ici aujourd’hui même. Apparemment, ces pipelettes de bonnes sœurs n’avaient rien trouvé de mieux que de rapporter son ordre au comte William. « Dame Matilda était sous la tutelle du comte Roland, paix à son âme ! répondit-il, soulignant par ces derniers mots que ce lien avait pris fin au décès du tuteur.

— Je m’attendais à ce que mon mari, en tant qu’héritier du comte, soit chargé de veiller sur elle, répliqua-t-elle et il était évident que le choix du roi ne lui seyait pas.

— Le souverain en a décidé autrement, riposta Ralph. Il me l’a donnée pour épouse. »

De par cette décision royale, la jeune fille était passée automatiquement sous sa tutelle avant même les noces, de sorte que, à strictement parler, le comte William et dame Philippa n’auraient pas dû s’inviter d’autorité chez lui comme s’ils étaient les garants de Tilly. Toutefois, en sa qualité de suzerain, William était en droit de visiter à sa guise n’importe lequel de ses vassaux.

À quoi bon entamer une dispute ? jugea Ralph. Le comte avait mille moyens de lui compliquer la vie. Cependant, le fait qu’il se soit déplacé jusqu’à Tench depuis Shiring – assurément sur les instances de son épouse – démontrait à lui seul qu’il doutait un peu de son autorité. Ralph décida donc de ne pas se laisser intimider. Sept années passées à guerroyer lui avaient inculqué la confiance nécessaire pour défendre une indépendance à laquelle il avait droit.

De plus, croiser le fer avec Philippa n’était pas pour lui déplaire. Cette occasion lui offrait un prétexte pour laisser son regard errer de la ligne autoritaire de sa mâchoire à la plénitude de ses lèvres. Manifestement, il en coûtait à cette gente dame de se retrouver dans l’obligation de converser avec lui.

« Tilly est très jeune, fit-elle remarquer.

— Elle aura quatorze ans cette année, laissa tomber Ralph.

L’âge de notre reine quand elle a épousé le roi, comme le souverain s’est plu à nous le préciser, au comte William et à moi-même, après la bataille de Crécy.

— Le jour qui suit une bataille n’est pas nécessairement le meilleur moment pour décider du destin d’une jeune fille », émit encore Philippa sur un ton étouffé.

Ralph réagit aussitôt : « En ce qui me concerne, je me sens obligé de me soumettre aux décisions de Sa Majesté.

— Comme nous tous », dit-elle dans un murmure, et sa phrase déclencha chez Ralph le sentiment de l’avoir vaincue. Il en éprouva brusquement une satisfaction de nature quasiment sexuelle, comme s’il venait de la posséder.

Enchanté de lui-même, il se tourna vers Daniel. « Ma future épouse devrait arriver pour le dîner. Assure-toi qu’un festin nous attend.

— J’y ai déjà veillé », intervint Philippa.

Observant une lenteur étudiée, Ralph tourna la tête jusqu’à ce que ses yeux se posent à nouveau sur le visage de son interlocutrice. Elle rougit. En pénétrant dans sa cuisine et en donnant des ordres à ses serviteurs, elle avait dérogé à la bienséance et le savait.

« J’ignorais à quelle heure vous arriveriez. »

Ralph ne répondit pas. Elle ne lui présenterait pas d’excuses.

Cependant, elle s’était sentie obligée de lui fournir une explication. Pour une femme aussi fière, cela équivalait à un recul, et il se réjouit dans son for intérieur.

Depuis un court instant, des bruits de chevaux parvenaient du dehors. Sieur Gérald et dame Maud firent leur entrée. Ralph s’élança vers eux pour les embrasser, il n’avait pas vu ses parents depuis plusieurs années.

Ils avaient tous deux la cinquantaine. Sa mère lui parut plus vieillie que son père. Elle avait les cheveux blancs, le visage ridé, et le maintien d’une femme âgée, le corps légèrement penché en avant. Son père semblait avoir conservé sa robustesse. Sa barbe rousse ne recelait pas un seul poil gris et sa mince silhouette était toujours aussi gaillarde. Cependant, sa joie et sa fierté de retrouver un fils aussi valeureux ne devaient pas être étrangères à la vigueur qu’il affichait, car il bombait le torse et secouait le bras de Ralph comme s’il pompait l’eau d’un puits. Ses parents arboraient tous deux des vêtements neufs, sieur Gérald un lourd manteau de laine, dame Maud une cape de fourrure, acquis l’un et l’autre grâce à l’argent que leur fils leur avait envoyé.

Ralph claqua des doigts à l’adresse de Daniel. « Apporte-nous du vin ! » lança-t-il.

L’espace d’un instant, on put croire que le bailli allait protester de se voir rabaissé au niveau d’un domestique, mais il ravala sa fierté et partit vers les cuisines.

« Comte William et dame Philippa, permettez-moi de vous présenter mon père et ma mère, sieur Gérald et dame Maud. »

Contrairement à ses craintes, William et Philippa saluèrent ses parents avec une courtoisie dénuée de condescendance.

Gérald dit à William : « Nous avons été compagnons d’armes, votre père et moi. Puisse-t-il reposer en paix ! En fait, comte, je vous ai connu petit garçon. Bien sûr, vous ne pouvez pas vous souvenir de moi. »

Ralph espéra que son père éviterait de mentionner ses hauts faits d’autrefois. Son passé glorieux ne ferait que souligner sa déchéance actuelle.

Mais William avait choisi de s’intéresser à la dernière phrase de son père. « Eh bien, savez-vous, je crois bien que je me rappelle...» Probablement voulait-il être aimable, tout simplement. Quoi qu’il en soit, sieur Gérald en fut tout aise tandis que William continuait : « Oui... en effet. Je me souviens d’un géant qui mesurait au moins sept pieds de haut ! »

Et sieur Gérald, qui était petit, de rire avec bonne humeur. Dame Maud promenait les yeux tout autour de la pièce.

« C’est une bien belle demeure que tu as là, Ralph.

— Je voulais la décorer avec tous les trésors que j’ai rapportés de France, mais je viens seulement d’arriver. »

Une fille de cuisine apporta une cruche de vin et des gobelets sur un plateau. Tout le monde prit un rafraîchissement. Le vin était un bon bordeaux, clair et fruité. La maison était bien pourvue, nota Ralph. Prêt à en attribuer le crédit à Daniel, il se dit, après réflexion, que personne n’avait été là pour vider la cave. Hormis Daniel naturellement.

Il s’enquit de Merthin auprès de sa mère.

« Tout va très bien pour lui, répondit-elle fièrement. Il est marié et il a une fille. Il est riche. En ce moment, il construit un palais pour la famille de Buonaventura Caroli.

— Les Italiens ne l’ont pas encore fait comte ? » lança Ralph en manière de plaisanterie. Mais derrière sa question, on sentit son désir de souligner que c’était lui, le cadet, qui avait comblé les espoirs de leur père en restituant à la famille son ancienne noblesse et que son frère, malgré ses nombreux succès, n’avait pas reçu de titre.

« Tout espoir n’est pas perdu », dit son père gaiement comme s’il était imaginable que Merthin puisse être anobli en Italie.

Sa réaction déplut à Ralph un bref instant.

Puis sa mère demanda : « Pouvons-nous voir nos chambres ? »

Il marqua une hésitation. Que voulait-elle dire par « nos chambres » ? La pensée l’effleura que ses parents se voyaient déjà vivre au manoir, perspective horrible qu’il n’admettrait à aucun prix. Non seulement ils ne cesseraient d’évoquer leur déshonneur passé, mais leur présence lui imposerait de surcroît des contraintes permanentes. D’un autre côté, ils ne pouvaient pas demeurer à la charge du prieuré et loger dans une maisonnette d’une seule pièce, ce serait une honte pour le noble qu’il était devenu. La question ne lui avait même pas traversé l’esprit jusque-là, il allait devoir l’étudier sérieusement. Pour l’heure, il se contenta d’expliquer qu’il n’avait pas encore eu le temps de visiter lui-même les quartiers privés du manoir. « J’espère qu’ils seront suffisamment confortables pour quelques nuits, dit-il.

— Quelques nuits ? le coupa vivement sa mère. Compterais tu nous renvoyer dans notre taudis de Kingsbridge ? »

Ralph fut mortifié de voir le sujet abordé devant William et Philippa. « Je ne pense pas qu’il y ait assez de place pour que vous puissiez vivre ici à demeure.

— Comment peux-tu le savoir, puisque tu n’as pas visité la maison ? »

Daniel interrompit la discussion en entrant pour déclarer qu’un paysan de Wigleigh du nom de Perkin voulait présenter ses respects au seigneur et débattre avec lui d’une affaire pressante.

En temps ordinaire, Ralph l’aurait renvoyé pour avoir osé s’immiscer dans la conversation. Heureux de la diversion, il enjoignit à sa mère de visiter les chambres, pendant qu’il avait à faire avec le paysan.

William et Philippa quittèrent également la pièce. Daniel fit entrer Perkin et le conduisit jusqu’à la table.

« Je suis bien aise de voir Votre Seigneurie saine et entière après ces guerres en France, commença Perkin avec son obséquiosité habituelle.

— Entier ? Enfin presque, répondit Ralph en baissant les yeux sur sa main gauche où manquaient trois doigts.

— Le village compatit à vos blessures, seigneur. Mais quelles récompenses ! Un titre de chevalier, trois villages et dame Matilda pour épouse !

— Je te remercie de tes félicitations, mais quelle est donc cette affaire pressante dont tu veux discuter ?

— Seigneur, cela ne prendra pas trop de votre temps que de l’écouter. Alfred CourteMaison est mort sans héritier à qui transmettre ses terres. J’ai proposé de me charger de ses dix acres, et pourtant les temps sont bien difficiles après tous les orages que nous avons connus cet été.

— Abrège !

— Oui, seigneur. Donc, Nathan le Bailli a pris une décision que vous n’approuverez pas, me semble-t-il. »

Ralph sentait l’impatience le gagner. Il se souciait fort peu de savoir auquel de ses paysans iraient les dix acres de cet Alfred.

« Quelle que soit la décision de Nathan...

— Il a donné la terre à Wulfric.

— Ah !

— Au village, certains pensent qu’il la mérite puisqu’il n’a pas de terre. Mais il n’a pas non plus l’argent pour payer la taxe de transmission...

— Tu n’as pas besoin de me convaincre ! le coupa Ralph. Je ne laisserai pas ce fauteur de troubles posséder des terres dans un village qui m’appartient.

— Merci, seigneur. Puis-je dire à Nathan le Bailli que vous souhaitez que les dix acres de terre me reviennent ?

— Oui, jeta Ralph en voyant le comte et la comtesse s’en revenir, suivis de ses parents. Je me rendrai à Wigleigh dans les deux semaines à venir pour le confirmer en personne. » Sur ces mots, il renvoya Perkin d’un geste de la main.

Au même instant, dame Matilda fit son apparition.

Elle pénétra dans le vestibule, flanquée de chaque côté par une religieuse. En l’une d’elles, Ralph reconnut l’ancienne amie de son frère qui avait signalé au roi que Tilly était trop jeune pour se marier, en l’autre la nonne au visage angélique qui avait partagé l’épopée de Caris jusqu’à Crécy. Il ignorait son nom. Derrière elles, leur servant de garde du corps, se tenait le moine manchot qui l’avait capturé si adroitement neuf ans plus tôt : frère Thomas.

Ralph n’eut qu’à poser les yeux sur Tilly, au centre du petit groupe, pour comprendre pourquoi les religieuses avaient voulu empêcher le mariage. Avec son nez délicat parsemé de taches de rousseur et le petit espace entre ses deux dents de devant, sa promise était l’innocence en personne. On avait cherché à souligner son aspect enfantin en cachant ses cheveux sous une coiffe toute simple et en la vêtant d’une robe de religieuse, mais le tissu blanc ne parvenait pas à dissimuler ses courbes féminines. La vue de cette toute jeune fille jetant autour d’elle des regards effrayés eut sur le futur époux l’effet opposé à celui attendu.

L’une des choses que Ralph avait apprises au service du roi, c’était qu’il suffisait bien souvent de prendre la parole le premier pour se rendre maître d’une situation. Fort de cette expérience, il ordonna d’une voix péremptoire : « Approche, Tilly ! »

La petite fit un pas dans sa direction. Les membres de l’escorte hésitèrent puis restèrent à leur place.

« Je suis ton mari, dit-il, et je m’appelle sieur Ralph Fitzgerald, seigneur de Tench. »

Elle leva sur lui des yeux terrifiés. « Je suis heureuse de faire votre connaissance, messire.

— Cette maison est la tienne désormais, comme elle l’était au temps de ton enfance, quand ton père était le seigneur de ces lieux. Dorénavant tu seras Mme de Tench, comme ta mère l’a été avant toi. Es-tu heureuse d’être de retour dans ta famille et sous ton toit ?

— Oui, seigneur, répondit-elle d’une voix désespérée.

— Je suis sûr que les sœurs t’ont dit que tu devais être une épouse obéissante et t’attacher à plaire en toute chose à ton mari, qui est désormais ton seigneur et maître.

— Oui, seigneur.

— Fais connaissance avec ma mère et mon père. Ils seront tes parents à l’avenir. »

Elle esquissa une petite révérence à l’adresse de sieur Gérald et de dame Maud.

« Approche », dit Ralph, en tendant les mains.

Tilly tendit les siennes par automatisme. Mais en apercevant la main gauche mutilée de son futur époux, elle ne put retenir un mouvement de dégoût et fit un pas en arrière.

Un juron monta aux lèvres de Ralph. Il parvint à le réprimer et réussit non sans peine à lancer sur un ton léger : « Que ma blessure ne soit pas pour toi cause de frayeur mais de fierté, car c’est en servant le roi que j’ai perdu mes doigts. » Il tendit les deux mains devant lui, attendant qu’elle se reprenne.

Accomplissant un effort sur elle-même, elle les saisit. « Maintenant, tu peux m’embrasser, Tilly. »

Se penchant vers Ralph, demeuré assis, elle présenta sa joue.

Celui-ci, plaquant sa main blessée sur l’arrière de sa tête, la força à tourner le visage jusqu’à ce que sa bouche se retrouve sous la sienne. La voyant hésiter, il prit plaisir à prolonger le baiser. Et pas seulement parce que ses lèvres étaient si douces, mais pour exaspérer le reste de la compagnie. D’un geste lent et délibéré, il promena sa main valide sur la poitrine de la petite. Ses seins, ronds et fermes, n’étaient pas ceux d’une enfant.

Sur un soupir de satisfaction, il la libéra de son étreinte.

« Nous serons bientôt époux et femme. »

Puis il parcourut des yeux l’assistance : Caris cachait mal sa colère. « La cérémonie aura lieu dans la cathédrale de Kingsbridge dans quatre semaines à compter de ce dimanche », précisa-t-il avec lenteur. Arrêtant son regard sur dame Philippa, il s’adressa à William : « Ce mariage étant le souhait clairement exprimé de Sa Majesté le roi Édouard, votre présence à la cérémonie serait pour moi un honneur, comte William. »

Ce dernier acquiesça d’une brusque inclinaison de la tête.

Caris prit alors la parole pour la première fois : « Seigneur, le prieur de Kingsbridge vous envoie ses salutations et vous fait savoir qu’il sera honoré de célébrer la cérémonie, à moins bien sûr que le nouvel évêque ne le souhaite lui-même. »

Comme Ralph hochait la tête aimablement, elle ajouta : « Les personnes qui ont eu pour charge de veiller sur cette enfant persistent à la considérer trop jeune pour vivre maritalement avec son époux.

— Je partage cette opinion », renchérit Philippa.

Sieur Gérald s’y rallia aussitôt. « Tu sais, fils, j’ai attendu des années avant d’épouser ta mère. »

Mais Ralph n’avait pas l’intention d’entendre une histoire évoquée mille fois devant lui. « À votre différence, père, le coupa-t-il, j’épouse dame Matilda sur ordre du roi. »

Sa mère intervint : « Tu pourrais peut-être attendre un peu, mon fils.

— J’ai déjà attendu plus d’une année ! Elle avait douze ans quand le roi me l’a donnée. »

Caris dit encore : « Épousez cette enfant, oui, et avec tout le faste requis, mais laissez-la retourner au couvent une année de plus. Laissez à sa féminité le temps de se développer entièrement avant de la ramener chez vous. »

Ralph émit un grognement de mépris. « Dans un an, je serai peut-être mort, surtout si le roi décide de repartir pour la France. Il faut un héritier aux Fitzgerald !

— C’est une enfant...»

Ralph haussa la voix. « Elle, une enfant ? Regardez-la mieux !

Ce ridicule habit de nonne ne parvient pas à cacher ses tétons.

— C’est du gras de bébé potelé...

— Est-ce qu’elle a des poils là où les femmes en ont ? » lança Ralph.

Sa brutale crudité coupa le souffle à Tilly. Le rouge de la honte envahit ses joues.

Caris hésita à répondre.

Ralph enchaîna : « Ma mère devrait peut-être l’examiner en mon nom et me rapporter ce qu’il en est.

— Ce ne sera pas nécessaire, intervint Caris. Tilly a effectivement des poils là où les enfants n’en ont pas.

— Je le savais ! s’écria Ralph. Ce n’est pas la première fille...» Il s’interrompit, se rendant compte à temps qu’il valait mieux ne pas décrire devant cette assemblée en quelles circonstances il avait vu des jeunes filles du même âge que Tilly dans le plus simple appareil. « Je m’en étais douté à sa silhouette, se reprit-il en évitant le regard de sa mère.

— Voyons, Ralph ! En esprit Tilly est toujours une enfant ! » insista Caris sur un ton suppliant très éloigné de celui qu’on lui connaissait.

Ralph aurait volontiers rétorqué qu’il n’en avait cure. Il se retint et martela : « Elle a quatre semaines pour apprendre ce qu’elle ignore encore. Je ne doute pas que vous serez pour elle la meilleure des enseignantes, sœur Caris », ajouta-t-il en faisant peser sur celle-ci un regard lourd de sous-entendus.

Caris rougit, les religieuses étant censées ne rien connaître de l’intimité maritale.

« Peut-être pourrait-on trouver un compromis..., osa encore dame Maud.

— Vous ne comprenez donc pas, mère ? L’âge de Tilly est le cadet des soucis des personnes ici présentes ! s’exclama-t-il brutalement. Si j’épousais la fille d’un boucher de Kingsbridge, qui se préoccuperait qu’elle ait neuf ans ou plus ? Seul le fait que Tilly soit de haut lignage explique leurs objections. Vous ne voyez donc pas qu’ils se croient supérieurs à nous ? »

Il s’entendait crier ; il avait pleinement conscience de la stupéfaction qu’engendraient ses paroles. Il s’en souciait comme d’une guigne.

« Ils ne veulent pas que la cousine du comte de Shiring épouse le fils d’un chevalier déchu. S’ils veulent reporter les noces, c’est parce qu’ils espèrent que je serai tué avant d’avoir consommé le mariage ! » Il s’interrompit pour s’essuyer la bouche et reprit : « Mais j’ai beau être le fils d’un chevalier déchu, je n’en ai pas moins sauvé la vie du prince de Galles à Crécy ! Et ça, c’est la seule chose qui compte aux yeux du roi. »

Il dévisagea tour à tour chacun des membres de l’assemblée : William considérait la scène avec hauteur, Philippa ne cachait pas son mépris, Caris bouillait de fureur contenue et ses parents le fixaient, abasourdis.

« Tous autant que vous êtes, vous feriez bien d’accepter les faits que voici : Ralph Fitzgerald est désormais un chevalier et un seigneur ; il est aussi un compagnon d’armes du roi et il épousera dame Matilda, la cousine du comte, que ça vous plaise ou non ! »

Un long silence interloqué succéda à sa tirade. Puis Ralph se tourna vers Daniel : « Tu peux servir le dîner. »

Un Monde Sans Fin
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